La valeur de l’intangible
Quand il s’agit de valoriser une entreprise, peut-on se limiter à la mesure de sa seule valeur financière? Non, juge Michel de Kemmeter, auteur du livre Les Valeurs de l’Argent, insistant sur la nécessité de prendre en compte tous les aspects de valeurs. C’est l’idée à la base du concept de la Triple Comptabilité qu’il a développé: « Dans l’entreprise, comme dans notre vie personnelle d’ailleurs, nous disposons de trois types de valeurs, de patrimoines: trois bilans avec actifs et passifs », explique-t-il ainsi.
Le premier patrimoine, ce sont les valeurs matérielles (le « corps »): cash, terrains, bâtiments, machines, matériel roulant, santé, etc. Un deuxième patrimoine porte sur les valeurs émotionnelles (le « cœur »): marques, identité, motivation, enthousiasme et passion du métier, engagement, loyauté, bonheur, etc. Le troisième patrimoine réside dans les valeurs connaissances (la « tête »): l’expérience, les connaissances, les réseaux, le savoir et savoir-faire collectif, la créativité, la vision, etc. « L’intangible – émotionnel et connaissances – correspondant au goodwill de l’entreprise, à sa valeur au-delà des fonds propres. Il convient donc de réaliser trois bilans, plutôt qu’un seul. »
Aujourd’hui, on ne peut en effet plus calculer la valeur d’une entreprise en tenant compte des seules données comptables passées ou sur base d’un espoir de profits futurs partant d’un cash flow historique, pointe Michel de Kemmeter. « Nous vivons dans un monde qui change rapidement, tout comme les modèles d’affaires évoluent eux aussi très rapidement. Pour analyser de façon rigoureuse où se trouve la valeur réelle, il faut également s’intéresser aux valeurs immatérielles, intangibles. A savoir, l’humain qui, malheureusement, aujourd’hui, reste comptabilisé comme un coût, comme une charge… alors qu’il est la force vive même de l’entreprise, le potentiel pour avancer! »
Pour effectuer le calcul, Michel de Kemmeter a élaboré, en collaboration avec des spécialistes de la comptabilité de l’immatériel, un algorithme qui décode l’ADN de l’entreprise et ventile son « goodwill » en un référentiel très complet de 120 entrées. L’angle d’approche se veut volontairement décalé. « Nous partons de la perception, tout d’abord de celle du management de l’entreprise. L’algorithme croise ensuite cette perception avec celle des employés, des clients et autres parties prenantes. Si la réalité est au-dessous du seuil managérial, il y a du passif. Si les résultats sont au-dessus, les postes partent dans l’actif. Exemple: vous êtes manager et, pour vous, la confiance, est importante avec un seuil minimum de 75%. Si les réponses au questionnaire donnent un résultat de 68%, il y a un problème. Ou, plutôt, un potentiel de création de valeur, si vous décidez d’en faire un sujet de travail. »
L’objectif consiste à mettre aussi précisément que possible des mots et des chiffres sur des intuitions et des ressentis. « Une comptabilité, c’est un T avec, à gauche, les avoirs et, à droite, les dettes. Il convient donc de réaliser le même calcul dans le cadre de la comptabilité émotionnelle avec, à gauche, les valeurs, les marques, l’engagement, etc. et, à droite, le passif émotionnel: la démotivation, l’insatisfaction, la colère, etc. De même, on réalisera un T sur le knowledge avec, à gauche, le savoir, l’expérience, etc. et, à droite, tout ce qu’on ne sait pas. Et également chiffrer ce passif intangible. C’est explorer ce vide qui aspirera les équipes à penser, à travailler ensemble et à développer des réponses. »
L’outil représente ainsi une formidable opportunité pour le directeur RH d’instaurer une autre forme de dialogue avec son collègue financier. « Le professionnel financier se retrouve en terrain connu: les chiffres, le ROI. Il va surtout regarder les poches de ‘passif intangible’. Mais l’exercice va au-delà des chiffres: ceux-ci sont avant tout utiles pour se poser les bonnes questions et identifier du potentiel de création de valeur. Tout à coup, les financiers peuvent ainsi s’ouvrir à la partie humaine de leur métier… »