« Le temps du comptable aligneur de chiffres est révolu »
De plus en plus sollicité pour des fonctions de conseil, le comptable exerce un métier en forte mutation. Pour mieux cerner son image auprès de ses clients, l’Institut Professionnel des Comptables et Fiscalistes agréés (IPCF) a mené une grande étude nationale auprès de 500 entrepreneurs et professions libérales. « Le temps du comptable aligneur de chiffres est bien révolu, explique Jean-Marie Conter, président de l’IPCF. Vu la situation économique difficile, le rôle du comptable est de suivre la viabilité des entreprises à travers ses analyses. La priorité est aujourd’hui d’assurer des conseils en gestion. Enormément d’entreprises ont des lacunes dans ce domaine. La comptabilité reste, bien sûr, importante, mais ce n’est plus le seul domaine d’expertise à prendre en compte. » Si les missions centrales du comptable sont en général bien perçues, le volet conseil de son métier est encore peu reconnu.
Un constat étonnant: 75% des entrepreneurs se disent satisfaits ou très satisfaits du langage technique utilisé par leur comptable. Par ailleurs, 60% des entreprises sondées reconnaissent la plus-value de leur expert et le considèrent comme un partenaire privilégié. Mais seulement un gros 21% des sondés réalisent des tableaux de bord et de reporting avec lui. Au sein des entreprises ayant déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal, 78% reconnaissent avoir été bien accompagnées par leur comptable.
Esprit d’entreprise
L’analyse révèle un certain manque de connaissance générale des professionnels du chiffre, le comptable fiscaliste se transformant progressivement en conseiller partenaire du business. « Cette enquête nous permet de faire le constat que beaucoup de nos clients nous voient encore comme des fiscalistes et non des conseillers, relève Jean-Marie Conter. Nous devons travailler à renverser cette tendance. Nous avons toute une déontologie à offrir et un savoir-faire en matière d’outils prévisionnels de gestion que nous devons mieux mettre en valeur. »
« Il est encore plus crucial que par le passé d’avoir un conseiller fiscal et comptable à ses côtés. »
Pour la Ministre de tutelle Sabine Laruelle, la figure du comptable est essentielle pour nos entreprises. Il a la possibilité de contribuer activement à créer l’esprit d’entreprise. Pour entreprendre, il faut avant tout avoir confiance. « Il leur faut construire une relation de confiance qui s’inscrive dans la durée. Il faut savoir que près de 50% des starters qui se lancent arrêtent leurs activités au cours de leurs cinq premières années, dit-elle. Plusieurs facteurs explicatifs sont envisageables: charges administratives, hauteur de la fiscalité de l’activité entrepreneuriale, cotisations mal calculées… L’accompagnement des jeunes sociétés est une période charnière. Il est encore plus crucial qu’hier d’avoir un conseiller fiscal et comptable à ses côtés. Choisir la voie la moins fiscalisée n’est pas interdit en Belgique. Encore faut-il être bien conseillé. » Redonner la confiance aux entrepreneurs est aussi une responsabilité politique. Le récent accord gouvernemental prévoit quelque 30% de simplification administrative pour faciliter la vie économique belge, soit 5% de plus que ce qui est prévu au niveau européen.
Mission pédagogique
Le comptable doit veiller à bien se faire comprendre de ses clients, qui deviennent au fil du temps de véritables partenaires. « Notre métier possède une dimension pédagogique importante, confirme Jean-Marie Conter. Il nous faut former nos entreprises à comprendre leur bilan en utilisant un langage accessible, c’est un des éléments qui a été vu comme positif lors de l’enquête. » En moyenne, un comptable se rend au moins quatre fois par an dans les entreprises qu’il conseille, ce qui correspond aux exigences trimestrielles de la TVA.
Ses honoraires varient en fonction des tâches accomplies: analyse financière, comptabilité, administration, diverses consultations… Depuis la crise, on lui confie des missions qu’il n’avait pas auparavant comme la récupération des créances, la gestion du contentieux ou un positionnement en médiateur. Il est également de plus en plus amené à travailler en réseau avec d’autres experts.
« Les clients qui souhaitent nous voir le plus souvent sont ceux qui ont des dépôts mensuels de TVA et ceux qui ont des chiffres d’affaires élevés, ajoute-il encore. Ceux qu’on voit le moins sont les professions libérales et les entreprises non assujetties à la TVA. On se rencontre en moyenne une fois par an. Nous aimerions augmenter cette fréquence pour tisser des relations plus solides. Notre profession a évolué, la demande de nos clients aussi. Je pense que nous sommes à un tournant du métier. Faire de la prévention est à présent une de nos tâches prioritaires. Dans l’idéal, nous devrions être les premiers à détecter les problèmes potentiels et à prévenir des dangers. Cela demande des rencontres fréquentes.»
La loi sur le blanchiment d’argent de janvier 2010 a renforcé le devoir de vigilance des professionnels du chiffre. Elle impose aux comptables d’avoir une vision totale de la comptabilité de leurs clients. L’enquête révèle que seules 15% des entreprises ont été sensibilisées aux exigences de la nouvelle réglementation. Pour corriger le tir, l’IPCF met au point des mécanismes de contrôle. Il a notamment établi un règlement pour sensibiliser davantage ses comptables à ce devoir de vigilance.
Rassurer et conseiller
Egalement chargé d’encadrer l’agrégation officielle, l’Institut s’est rendu compte que de nombreuses entreprises ne vérifiaient jamais si leur expert comptable était bien reconnu. Certains cabinets exercent de manière illégale et ne sont donc pas assurés, ce qui représente un danger pour leurs clients. Le site de l’Institut reprend ainsi les noms de tous les experts agréés.
« Le comptable doit être une figure rassurante et structurante. »
Chez les partenaires de l’IPCF pour la réalisation de l’étude, tous s’accordent pour reconnaître le rôle grandissant de la fonction comptable. Pour Christophe Wambersie, secrétaire général de l’UCM, le comptable est bien un contact indispensable de la création à la transmission d’entreprise. « L’entrepreneur ne doit pas voir son comptable comme un prestataire de services, mais comme un expert qui va l’aider à professionnaliser sa gestion, indique-t-il. C’est là le cœur de la problématique: seules six entreprises sur dix le voient comme un partenaire privilégié. Suite aux troubles économiques, l’émotion prend trop souvent le pas sur la rationalité. Le comptable doit être une figure rassurante et structurante. »
Coordinateur du Centre pour les entreprises en difficulté, Olivier Kahn insiste pour sa part sur la participation du comptable à la professionnalisation de la gestion des entreprises. Trop peu d’entre elles utilisent des tableaux de bord, outils de prévention par excellence. « Beaucoup de sociétés sont en difficultés car elles n’ont pas de bons indicateurs, estime-t-il. 64% des entreprises évaluent leur situation uniquement en fonction de leur cashflow. Le comptable va apporter son expertise dans ce domaine. Les indicateurs ne doivent pas seulement être financiers, mais commerciaux et humains. C’est un travail de longue haleine et un changement de mentalité à effectuer. Ce qui nécessite des échanges réguliers. »