« La vraie cuisine est cérébrale »

Benoît De Bruyn

Entrepreneur de nature, Benoît De Bruyn a fondé NewTree sur un coup de tête au début des années 2000. Ingénieur de formation, il porte ce projet depuis plus de dix ans. Toujours actionnaire majoritaire du groupe, c’est aussi lui qui conceptualise et teste les nouvelles recettes depuis sa cuisine de San Francisco. Aujourd’hui, il se consacre entièrement à son aventure américaine et manage ses équipes à distance.

Depuis les débuts en 2001, le visage et la structure de NewTree ont bien changé. D’une structure belgo-belge, la PME a évolué vers un groupe international avec des plateformes de distribution dans cinq pays : Belgique, France, Espagne/Portugal, Japon et USA. Via ces canaux, les produits NewTree voyagent vers une quinzaine de pays. « C’est très rare qu’une PME belge soit présente dans autant de pays. Notre structure est complexe, mais établie et fort prometteuse. Depuis le début, l’histoire de notre entreprise est faite de rebondissements. Nous n’avons pas arrêté d’innover. Aujourd’hui, notre positionnement est très clair, nous savons qui nous sommes et ce que nous allons faire les 10 prochaines années », introduit Benoît De Bruyn, fondateur de l’entreprise, CEO, gastronome et cuisinier.
En 2012, l’entreprise ouvrait son premier NewTree Cafe & Chocolate Shop à San Francisco. Avec une trentaine d’employés répartis dans ses différents bureaux, la marque navigue entre gastronomie, nutrition et développement durable. L’approche est avant tout nutritionnelle. Chocolats, tablettes ou barres chocolatées, gaufres ou pâtes à tartiner, mêlent différentes saveurs originales et arômes naturels, quinoa, lavande, graines de lin ou encore gingembre, mais surtout limitent l’utilisation d’huile et de sucre ajouté. « Goût et santé sont nos maîtres mots. Notre chocolat est inspiré de la nature et contient des extraits actifs de plante. Nous sommes les premiers au monde à proposer un chocolat entièrement naturel en contenant entre 20 et 30% de sucre en moins que la moyenne. Nos recettes contiennent, en outre, entre deux fois et cinq fois plus de fibres que d’autres chocolats comparables ».

Profil hybride

Les débuts de Benoît De Bruyn se font loin de l’univers du chocolat. Passionné de nature, il est ingénieur en biochimie et débute sa carrière dans le domaine du génie civil environnemental. Il complètera plus tard sa formation par un post-graduat en Management à Solvay et des cours du soir en fiscalité à l’ULB.« Mon parcours a fluctué entre ingénierie et finance et mon expérience a basculé dans différents domaines, confie-t-il. Lors de mes études à l’UCL, j’ai effectué un mémoire industriel pour le groupe Solvay, touchant à la dépollution des sols. Peu de sociétés étaient actives dans ce domaine, j’ai choisi la plus petite structure et j’ai démarré ma vie professionnelle chez Ecosystem Engineering ».
Rapidement, il met en place un bureau d’étude belge pour le groupe. « La mise en place de cette division est le premier projet que j’ai entièrement porté. J’avais alors de très bonnes relations avec mon patron. Il m’a proposé de devenir associé, mais j’ai trouvé que c’était trop tôt dans ma carrière. J’avais 25 ans et envie d’autre chose. C’est à ce moment-là que j’ai été contacté par le groupe Jan De Nul pour créer une société belge spécialisée dans l’épuration. C’était la première fois que je démarrais vraiment de zéro. J’ai choisi le terrain, les bureaux, acheté les machines… J’ai recruté l’équipe d’Envisan International, cela a été une expérience passionnante, surtout que nous avons pu mener de gros chantiers d’assainissement. C’est aussi lors de cette opportunité que j’ai pu compléter mes compétences en finance. Je suis resté administrateur délégué dans ce contexte environ trois ans avec, toujours, l’envie de créer ma propre entreprise ».

« Mon parcours a fluctué entre ingénierie et finance et mon expérience a basculé dans ces différents domaines »

Orientation financière

Après son passage comme CEO chez Envisan, Benoît De Bruyn envisage de se diriger vers le secteur de l’ingénierie financière. En août 2009, il rejoint la Floridienne, une petite holding belge regroupant alors 42 entreprises dans son portefeuille. « J’y ai démarré comme Directeur de l’audit interne et des fusions et acquisitions, en vue de devenir CFO par la suite, se remémore-t-il. L’entreprise regroupait notamment des sociétés dans le domaine de la chimie, de la gastronomie, du luxe, et ce, de Londres à Madagascar… C’était une expérience extraordinaire, je consolidais notamment tous les actifs. J’ai eu la chance d’y côtoyer Jean-Marie Delwart, un patron fantastique et qui m’a beaucoup inspiré. J’avais 28 ans et tout ce dont je pouvais rêver : je rapportais au conseil d’administration, j’avais une belle liberté, un salaire honorable et une fonction très épanouissante ».
Benoît De Bruyn n’oublie pas pour autant son envie de se lancer comme entrepreneur. « En parallèle, j’ai commencé à travailler sur un concept de société combinant gastronomie et ingénierie biologique. J’ai eu envie de me dédier à ce projet à 100%, j’ai donc démissionné sans avoir vraiment monté de structure pour autant. Mon projet était encore assez flou, beaucoup de gens me traitaient d’inconscient, dont mon patron. Mais après y avoir réfléchi cinq minutes et me voyant déterminé, il a voulu investir dans ma société, avant même que le projet ne soit formalisé. On s’est mis d’accord sur 25% des parts avec une certaine valorisation de départ. Nous avons signé sur un coin de table, c’est un beau souvenir. Le pari était risqué pour la Floridienne, mais c’est avéré un véritable succès, car elle y a réalisé une belle plus-value à la clé, juste avant la crise ». NewTree était né.

Savourer la vie

Fin 2001 signe les débuts officiels de NewTree. Les premiers produits ont été physiquement créés en 2002 et distribués chez Delhaize dans la foulée. Si la décennie s’est avérée riche en évènements pour l’entreprise, sa philosophie, mêler plaisir et nutrition, est restée intacte. « Nous ne nous sommes pas ennuyés. Nous avons successivement étendu notre gamme de produits, testé de nouveaux marchés, de nouvelles recettes… En 2003, nous avons créé NewTree France avec un partenaire local, Bernard Goret, qui détenait 50% des parts, avant que nous les rachetions et qu’il ne devienne CEO pour l’Europe. En 2005, nous avons lancé les premières licences aux Etats-Unis, résume Benoît De Bruyn. Notre aventure américaine a été un vrai parcours du combattant. Nous avons racheté notre distributeur, puis nous avons fait une joint-venture avec des investisseurs locaux, ensuite nous avons racheté leurs parts… En parallèle, nous avons fondé NewTree Japon et Espagne. Nous n’avons pas arrêté! »
L’ensemble de la production est toujours réalisé en Belgique et l’empaquetage est externalisé chez « Travail et vie », un atelier protégé. « Nous sous-traitons beaucoup de choses, au total, nous employons environ 50 équivalents temps plein ». La gestion des finances se fait en Belgique et aux Etats-Unis.
En 2005, le chocolatier est la deuxième entreprise à s’inscrire sur le marché libre d’Euronext Bruxelles. « Dès le début, l’effervescence a été de mise. Nous avons été plus de sept fois sursouscrits ! En 2008, le marché libre s’est écroulé sous la pression de la crise. Couplé à notre développement croissant, cela a compliqué nos besoins de financement. L’année passée, nous avons augmenté notre capital, grâce à des actionnaires extérieurs, et ceux-ci ont investi à une valorisation équivalente à trois fois le cours de bourse, c’est tout le paradoxe. C’est un marché très statique où peu de gens vendent et achètent, il y a un vrai statut quo, ce qui est un sérieux problème pour se financer. Cela dit, je n’ai pas de regrets. Je ne veux pas réécrire l’histoire, je ne dirais pas que c’était une erreur de choisir ce canal à l’époque, cela a été un moyen efficace pour se financer. Malheureusement, ce marché a mal vieilli. Espérons qu’il rebondisse ». Doté d’un capital de  7.019.128 €, l’entreprise compte aujourd’hui 1.085.451 actions.

« Nous ne nous sommes pas ennuyés. Nous avons successivement étendu notre gamme de produits, testé de nouveaux marchés, de nouvelles recettes… Nous n’avons pas arrêté »

Aventure américaine

Installé aux Etats-Unis depuis 2010, Benoît De Bruyn se consacre à développer NewTree America et manage ses équipes à distance depuis Sans Francisco. Il revient entre 4 et 5 fois par an en Belgique, en fonction des années.
« La journée d’un entrepreneur commence tôt et finit tard! Ma matinée est consacrée à gérer l’Europe et les développements du groupe. Je passe entre deux et trois heures par jour sur Skype pour rester en contact avec mes collaborateurs, partage-t-il. J’ai une confiance absolue dans mes équipes. Cela fait trois ans qu’il n’y a plus de patron physique en Belgique et cela se passe très bien. Je fais essentiellement de la gestion commerciale et du développement de produits. Je ne suis finalement qu’assez peu en contact avec les clients finaux européens. L’après-midi, je me concentre sur les Etats-Unis. La vie d’un chef d’entreprise ne ressemble pas aux clichés. On oublie souvent tout le travail que ça représente. Sur une même journée, il faut parfois affronter des problématiques qui touchent le marketing, la finance, les opérations, les RH… Il faut se démultiplier, toujours trouver une solution, garder le sourire et motiver ses équipes. Le moteur doit être la passion, sinon on ne tient pas le coup ».
Il travaille aussi à de nouvelles recettes depuis sa cuisine. « Ma cuisine est fondée sur une compréhension scientifique de ce qu’il se passe. Je pense que tout le monde peut être bon cuisinier. A la différence de mes pairs chocolatiers, je vois 700 substances qui interagissent ensemble. Si une émulsion ne prend pas, j’analyse ses composantes, la température, la chimie et la biologie etc. C’est la partie de mon métier qui me fascine. Mon bagage de scientifique me donne un autre éclairage. Je suis convaincu que la vraie cuisine est cérébrale ».
C’est également aux Etats-Unis qu’a été ouvert le premier café du groupe il y a un an. Entre un bistro et un flagship store, l’enseigne veut offrir aux clients une expérience sensorielle. Construit avec des matériaux entièrement durables, le magasin de San Francisco vend toute la gamme NewTree, ainsi que des pâtisseries, des salades ou autres veloutés de légumes.
« C’est un métier différent et une belle découverte. Je me réjouis que l’on se lance dans cette activité qui est très complémentaire à notre approche. Je pense que nous avons tous les atouts en interne pour le faire. La satisfaction de nos clients a toujours été importante pour nous. Cela a été un vrai challenge actionnarial. Nous avons, cependant, réussi à lever 500.000 euros pour lancer ce projet. Nous aurions pu, il y a quelques années, faire le choix de rester en Europe, c’était un pari risqué. Le marché américain est très exigent et reste minoritaire pour le groupe. Cela fait dix ans que l’on est présent, directement ou indirectement, et je viens seulement d’en comprendre les codes ».

« L’entreprenariat est ma passion. J’ai toujours voulu créer mon entreprise. Essayer de comprendre ce qui fait un bon entrepreneur me passionne »

Mue stratégique

Il y a deux ans, NewTree a entrepris une mutation stratégique avec l’objectif de devenir 100% durable et totalement éco-responsable. Tous les emballages, les procédures de travail, les processus de distribution, ont été analysés sous cette lumière et repensés. « Le souci environnemental est inscrit dans nos gènes. Tous nos produits sont organiques et labellisés fairtrade. C’est toute une philosophie. Nous ne travaillons plus, par exemple, avec des entreprises ivoiriennes pour éviter le travail des enfants. Ce n’est pas une mince affaire. Nous utilisons de l’encre végétale, nos packagings sont labellisés FSC, etc. Nous sommes les premiers chocolatiers CO2 neutres ! Toute l’entreprise a été réorganisée dans cette optique. Notre ambition est d’être un exemple en la matière. La durabilité n’est pas quelque chose que l’on possède, ni un avantage compétitif, c’est une responsabilité sociétale », appuie Benoît De Bruyn.
Dès 2007, le bureau de Bruxelles compensait déjà toutes ses émissions de CO2 en finançant différents projets en Inde en collaboration avec Climact, une volonté qui s’est étendue aux autres antennes du groupe.« Je ne crois pas aux produits durables ennuyeux et sans réel plaisir. C’est une dimension trop souvent oubliée. En cuisine, on n’en n’est qu’au tout début de ce qu’on pourrait faire. Il reste énormément de choses à inventer. Nous sommes au seuil d’une révolution culinaire ».
A l’avenir, NewTree ira encore davantage dans cette direction, tout en se concentrant sur ses marchés phares. « L’entreprenariat est une vraie passion, c’est un monde qui m’attire depuis mon plus jeune âge. J’ai toujours voulu créer mon entreprise et essayer de comprendre ce qui fait un bon entrepreneur. NewTree est le fruit de l’énergie de toute une équipe depuis plus de dix ans. Il nous reste beaucoup de choses à faire », termine Benoît De Bruyn.